Dans un tiroir il découvre l’histoire secrète
de ses parents pendant la guerre 39-45, il en a fait un livre
Intrigué par le contenu d’un vieux tiroir, longtemps resté fermé, le Normand François Leclerc s’est lancé dans une enquête historique au long cours, d’Argences dans le Calvados à la Lituanie ! Il en a fait un livre, intitulé Un bout de crayon : mes parents dans la guerre.
Ce tiroir, dans la maison de son enfance à Argences (Calvados), il l’avait toujours connu fermé. « On n’en parlait pas, on n’y allait pas, c’était comme ça », explique François Leclerc, médecin généraliste à la retraite, en étalant sur la table du salon, chez lui à Ifs, son trésor d’archives et d’objets.
Car un jour, il y a dix ans, il a enfin osé ouvrir ce « tiroir de l’armoire sculptée », dans la chambre de sa mère. Sans se douter une seule seconde que cette découverte l’embarquerait dans une enquête historique au long cours, d’Argences à la Lituanie, sur les traces de ce père qu’il a à peine connu, décédé en 1949 dans un accident agricole.
Des souvenirs intacts
Près de 80 ans plus tard, tout est intact : une pipe, deux briquets fabriqués avec des balles de fusil ou encore une plaque métallique du Stalag 1A où Francis, prisonnier de guerre en 1940, a passé de longues années de captivité aux confins de l’Allemagne hitlérienne. Soigneusement alignées à l’intérieur de leur étui en cuir, même les 20 cigarettes « élégantes caporal ordinaire » n’ont pas bougé !
Il y a là, aussi, une cinquantaine de photos, avec des notes crayonnées au dos, ainsi que des livrets et une liste de lieux et de dates allant de la mobilisation, en septembre 1939, au retour à Argences, le 19 août 1945. Autant de pièces du puzzle que François Leclerc a patiemment et passionnément reconstitué, jusqu’à en faire un livre, disponible depuis quelques semaines (lire ci-dessous).
« Cette liste de lieux indiquant des noms alsaciens puis Berlin, Königsberg et d’autres noms inconnus me donnait la trame, mais il n’y avait de commentaire à aucune de ces étapes et il me restait donc à remplir les cases », explique l’enquêteur, qui se lance corps et âme dans ce projet, en 2009.
Il fait tout d’abord la coûteuse mais précieuse acquisition, sur internet, d’un magnifique atlas allemand de 1959 : de quoi se repérer dans le long parcours ferroviaire vécu par son père et ses camarades de captivité jusqu’à Memel, l’actuel port lituanien de Klaipeda.
Une photo de son père lors de travaux agricoles, comportant les indications « sept. 1943, Gut Kuhlen », va donner une autre dimension aux recherches. Par l’intermédiaire de l’ambassade de France à Vilnius, puis une publication dans un journal local, François trouve ainsi des relais sur place. Ce sera ensuite le premier voyage en Lituanie, en 2016, puis un autre en 2019.
Un pan méconnu de l’histoire
De découverte en découverte, François Leclerc retrace ainsi le destin singulier de son père, en explorant un pan méconnu de l’histoire, celui de ces prisonniers français « libérés » par les Russes à la fin de l’année 1944 mais aussitôt replacés en captivité !
« Ils les considéraient suspects et les ont traités comme des ennemis », explique l’auteur, qui a pu mesurer l’extrême dureté de leur internement dans le camp de Tambov, de janvier à mai 1945. Beaucoup y sont morts.
Francis Leclerc, lui, a fini par rentrer chez lui. Son récit, fragmentaire, patientait dans un tiroir. Il revit aujourd’hui grâce à l’opiniâtreté de son fils, qui fait acte d’histoire (la grande) tout en démêlant les fils de la (petite) histoire familiale.
Pendant ce temps-là, à Argences…
« Dans le livre, je n’ai pas oublié ma mère, qui a vécu elle aussi cinq années très difficiles sans mon père, à Argences », précise François Leclerc. Sa guerre à elle, c’est la solitude d’une jeune épouse de prisonnier chez sa belle-mère, dans une ferme qu’elle connaissait à peine puisque Marie-Madeleine avait quitté l’Orne pour se marier l’année précédente, en août 1939.
C’est l’Occupation, il y a deux soldats allemands à héberger, la Traction est réquisitionnée. C’est, enfin, le Débarquement, la Bataille de Caen et la maison détruite, avant de trouver refuge dans l’Orne.
Aujourd’hui âgée de 105 ans, la vieille dame, qui réside à l’Ehpad de La Guérinière, a suivi l’enquête de son fils et y a même participé. « L’été dernier, elle répondait encore à mes questions », indique l’auteur.
Disponible à l’espace culturel Leclerc d’Argences et d’Ifs, le livre intitulé Un bout de crayon : mes parents dans la guerre (173 pages illustrées de nombreux documents et photos, 19,50 €) mêle donc les deux histoires, en témoignant aussi de la période de l’Occupation à Argences.
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