La Foire de Beaucroissant en 2022
Habituellement positionnée à la fin du mois, la 51e Foire de printemps, la « petite » Beaucroissant, aura lieu les 2 et 3 avril prochains, en raison des deux tours de l’élection présidentielle.Après 4 annulations successives, la municipalité, le service Foire, les élus et les agents de Beaucroissant se préparent pour que la vie reprenne son cours normal. Simplement, nous devons jouer avec le calendrier électoral.Traditionnellement, la foire d’avril se tient les samedi et dimanche les plus proches de la Saint Georges. Mais en 2022, c’est aussi le dimanche retenu pour le 2e tour des élections présidentielles.Le cas de figure s’était déjà présenté en 2017. Il avait alors été à la fois, moins laborieux pour la commune et plus sûr pour les habitants et les visiteurs, de ne pas cumuler les deux événements.Une rapide concertation avec nos exposants, que nous remercions d’avoir répondu en nombre, nous a confirmé que la meilleure date serait celle du premier week-end du mois d’avril. C’est donc celle que nous avons retenue.Nous travaillons donc désormais à vous accueillir début avril, dans l’anticipation et l’adaptation des consignes sanitaires.
Ce début d’automne a vu refleurir nombre de manifestations. Cela nous encourageait jusqu’alors à voir les choses plus sereinement. Pourtant, à l’heure où nous rédigeons ce communiqué, les récentes évolutions, les dispositions que viennent de prendre les parlementaires jusqu’à l’été prochain, ne refroidissent pas notre envie d’ouvrir à nouveau notre champ de foire, mais nous incitent à travailler plus sérieusement encore à la tenue de la future Foire de printemps.
Si petit que soit le village dauphinois de Beaucroissant (1247 habitants), situé à une trentaine de kilomètres à l'ouest de Grenoble, il accueille une foire de grand renom, la foire de la Croix qui se tient autour du 14 septembre et qui, loin de constituer une rémanence archaïque, s'affirme au contraire par sa vitalité économique: plus de deux mille exposants et près d'un million de visiteurs. Cet ouvrage s'interroge donc d'abord sur la longue histoire de ce monument vivant du patrimoine dauphinois: pourquoi une assemblée marchande a-t-elle élu, ici, domicile périodique? Pourquoi a-t-elle survécu au démantèlement général des foires ? Comment enfin, avec ses imperceptibles changements de physionomie, continue-t-elle de prospérer dans le paysage actuel de la grande distribution ? À l'image de la foire, polymorphe et plurifonctionnelle, cette recherche offre la particularité de combiner une approche historique et anthropologique : qu'importe si les archives s'avèrent souvent lacunaires, l'enquête statistique, l'observation, les entretiens prennent le relais pour dresser un état des lieux. Un état des lieux qui déborde à chaque occasion du périmètre forain. Étudiant une foire longtemps pastorale, cet ouvrage apporte sa contribution à l'histoire de l'élevage dans le Bas-Dauphiné. De la même façon, s'efforçant d'ouvrir des brèches dans l'anonymat des métiers de la foire - les maquignons, les charlatans, les camelots, les industriels forains... - cet ouvrage se constitue ici et là en ethnographie professionnelle. De plus, comme les foires sont capricieuses et désertent les lieux investis, l'ouvrage interroge l'ingérence de la municipalité dans la gestion de sa foire, et ce faisant, se livre à une micro-histoire villageoise. Enfin, comme l'aubaine d'une foire ne dure que si se répète la rencontre toujours difficile de l'autochtone et du forain, l'ouvrage aborde le champ de foire sous l'angle d'un champ social, exemple d'une sociabilité de circonstances. Située donc à la croisée des chemins, non seulement entre sillon rhodanien et massif alpin, mais encore entre passé et présent, entre ruraux et néoruraux, entre nomades et sédentaires, entre attraction pour curieux et rendez-vous professionnel, cette recherche s'efforce de restituer l'échange marchand dans sa globalité, dans sa circularité.
51ème Foire de printemps, les 2 et 3 avril 2022
Foire de Beaucroissant
Échappées belles : Autour de Grenoble Sophie est à Grenoble au Fort de Bastille. Nous nous rendrons dans une récolte de noix grenobloise, faire un tour dans le parc Paul Mistral. Notre Dame de la Salette où nous ferons une escale spirituelle avant d'aller à la Foire de Beaucroissant. Sophie aidera les forains dans leur quotidien.
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Une foire de champs : la foire de Beaucroissant
Thèse de doctorat en histoire sous la direction de Joseph Goy, École des hautes études en sciences sociales, Paris, 3 volumes, 558 f° + 199 f°, 6 décembre 2000, jury constitué de Rolande Bonnain-Dulon, Joseph Goy, Michèle de La Pradelle, Jean-Luc Mayaud (président) et Jacques Rémy (rapporteur), mention très honorable et félicitations du jury.
Bernadette Larcher
1Cette thèse est consacrée à la foire de Beaucroissant (Isère, 30 kilomètres environ à l'ouest de Grenoble). Il s'agit d'une foire qui n'a jamais fait parler d'elle, qui n'a jamais défrayé la chronique. Alors, pourquoi lui avoir consacré une thèse ? Parce que justement, c'est une foire bien sage : une foire de champs, une foire de septembre (plus exactement du 14 septembre, jour de la sainte Croix), une foire qui se contente pendant longtemps de se tenir, de se maintenir. Elle ne connaît donc pas les heures de gloire que connaissent les foires de Briançon ou de Tarascon. Elle ne connaît pas non plus, à l'inverse, d'heures sombres : je pense là, à la foire de Hautefaye en Dordogne, tristement célèbre pour l'épisode meurtrier qui se déroula sur le foirail, le 16 août 1870. La foire de Beaucroissant se contente donc de se répéter. Mais cette répétition sans histoire m'a justement semblé mériter attention. D'autant plus qu'aujourd'hui, la taille, la vitalité et la célébrité de cette foire ne cessent de croître et d'étonner.
2Je voudrais rappeler rapidement comment et pourquoi j'en suis venue à arpenter le champ de foire de Beaucroissant. J'ai entrepris à l'université de Lyon des études d'ethnologie. Mais je ne pouvais pas, sauf abandon de poste puisque je suis professeur de français partir sur un terrain dit « exotique ». Cependant, de mon enfance dans un village de la Loire, j'avais gardé une image très prégnante de l'exotisme : à savoir l'image des Bohémiens, ceux qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui les Gens du voyage. Ils incarnaient et incarnent toujours l'absolue altérité et en même temps, à force de venir et de revenir, ils finissaient par faire partie du paysage villageois. C'est d'ailleurs le cas aussi à Beaucroissant, avec le retour périodique des forains.
3Il s'est donc trouvé que c'est avec les Gens du voyage que j'ai commencé mes recherches, en 1998, dans le cadre d'une maîtrise : je me suis interrogée alors sur l'usage de la « combine » parmi les stratégies d'adaptation de ces populations. Parmi ces « combines », je me suis plus particulièrement interrogée sur la mobilité résidentielle, cette aptitude à être partout et nulle part. Comme pour perpétuer le voyage, beaucoup de familles, surtout des familles de Sinti et de Mânouch, perpétuent encore la tradition des métiers forains, je me suis alors tournée vers les fêtes foraines. Au moment où j'abordais ce terrain, en 1990, la fête foraine était touchée de plein fouet par la concurrence des parcs d'attractions, qui ont pour fonction de sédentariser la fête : j'ai donc approché une profession en pleine mutation, où les rivalités concurrentielles se doublent de rivalités ethniques.
4C'est à l'occasion de ces enquêtes que je suis donc venue la première fois à la foire de Beaucroissant : j'avais en effet constaté que les Gens du voyage, forains ou pas, mentionnaient souvent ce rendez-vous annuel. La suite est prévisible : comme je me proposais de prolonger mon parcours ethnologique auprès des marchands forains, il m'est paru opportun de continuer mon enquête sur le champ de foire de Beaucroissant et, à partir de là, c'est toute la foire qui a retenu mon attention. Mais alors, pareil terrain méritait une approche plus large que la seule approche ethnologique car on ne peut évidemment pas ignorer la profondeur historique de cette foire. C'est ainsi que s'est forgé ce projet d'anthropologie historique ou d'histoire anthropologique.
5Cette perspective a supposé une multiplication et un entrecroisement des approches. J'ai travaillé à partir de sources écrites, de sources orales et de sources statistiques :
6Les sources écrites : il s'agit pour l'essentiel des archives, et pour l'essentiel des archives communales. Au début du XIXe siècle, le village se rend compte que la foire constitue une véritable aubaine et qu'il est temps qu'il s'en attribue les bénéfices. Grâce à cette ingérence municipale, la foire entre dans les archives communales : périodiquement mais finalement assez rarement, tant c'est une affaire qui tourne rond , la foire est à l'ordre du jour dans les registres de délibérations. Et c'est ainsi que l'on peut suivre par le menu sa gestion, en se livrant à une micro-histoire villageoise. Notre foire figure aussi dans les tableaux des foires et des marchés, périodiquement dressés à l'usage du législateur, que ce soit les intendants de l'Ancien Régime ou plus tard les préfets. Il est réconfortant de la trouver mentionnée dans ces tableaux ou ces annuaires mais cela ne nous apprend pas grand-chose sur sa physionomie. Est-ce que les archives de la justice m'en auraient appris davantage ? On peut le supposer car le champ de foire est le théâtre de rixes, de larcins, d'escroqueries, de débauches mais comment en trouver trace ? C'est un peu chercher une aiguille dans une botte de foin. En tous cas, un tel dépouillement mériterait d'être mené dans le cadre d'une étude globale des foires du département. Ne serait-ce que pour observer si la mauvaise réputation des foires se vérifie en Dauphiné
7Concernant la foire de Beaucroissant, les archives se multiplient et c'est un bien grand mot à partir de l'époque post-révolutionnaire. Auparavant, elles sont presque muettes. Je dois dire aussi que je me suis heurtée à de sérieuses difficultés de déchiffrage. Que déchiffrer d'ailleurs ? L'état des sources du village de Beaucroissant n'est pas pour autant celui de la foire. On comprendra que devant l'immensité de la tâche, j'ai décidé de faire confiance à un prédécesseur. Il s'agit de Robert Chanaud. Il s'est intéressé en effet à la foire de Beaucroissant, peut-être avec l'intention d'en faire son sujet de thèse de l'École des chartes. Toujours est-il qu'il a dressé l'état des sources anciennes de la foire de Beaucroissant : huit documents au total. Il a d'ailleurs vite délaissé la foire de Beaucroissant au profit de la foire de Briançon, plus riche en archives. Fallait-il que je m'obstine à chercher davantage ? Je ne pouvais prétendre trouver ce que n'avait pas trouvé un chartiste. Fallait-il pour autant renoncer ? Certainement pas, puisque je me proposais de me donner d'autres outils d'investigation
8Les sources orales. Il s'agit des entretiens, lesquels constituent l'essentiel du travail ethnologique. Je me suis efforcée de n'oublier ni de privilégier personne, autrement dit de veiller à prendre en compte tous les acteurs : j'ai pu interroger à loisir l'équipe municipale, venir et revenir sur les questions ; j'ai pu aussi facilement m'entretenir avec les habitants du village (j'ai choisi de préférence les heures creuses des après-midi d'hiver) ; il a été plus difficile, en revanche de trouver des heures qui se prêtent à l'entretien, avec les forains alors que la foire est justement leur espace-temps de travail et que lorsque la foire s'achève, ils plient bagages.
9Je me suis donc souvent contentée d'entretiens à la sauvette, griffonnés à la va-vite, sans bien savoir ce que je pourrais en tirer au bout du compte. Mais ces bribes de conversation, mises bout à bout, ont finalement reconstitué un kaléidoscope très fidèle de la foire. Voilà une pratique ethnologique du fragment, de l'instantané, qui s'est avérée finalement pertinente sur ce terrain. Mais j'ai aussi essayé de mener des entretiens de longue durée, des entretiens installés, comme je les nomme. Je ne cacherai pas le plaisir que j'ai eu à m'entretenir ainsi, lentement, avec les uns ou les autres : un marchand de bétail, un marchand forain en fin de carrière ou au contraire un marchand forain qui débute, un gars de la postiche ou un gars de la banque... C'est au cours de ces entretiens que j'ai pu aussi collecter tous les mots des métiers et constituer un glossaire, encore très incomplet, qui figure, ainsi que les entretiens, dans les annexes de la thèse.
10Les sources statistiques. Il semble difficile d'enquêter sur une foire sans se doter d'un outil quantitatif, d'autant plus indispensable que dans la pénurie générale de sources, la pénurie de chiffres est encore plus flagrante. Une enquête statistique a donc eu lieu, à mon initiative, mais surtout grâce au concours financier de la municipalité qui a favorablement accueilli cette idée et en a été le commanditaire. Quant à son exécution, elle a été menée, en 1994, par des élèves de BTS Action commerciale. Une vingtaine d'apprentis-enquêteurs ont donc administré les questionnaires auprès de 1 000 visiteurs, ainsi répartis : 600 le dimanche 11 septembre et 400 le mercredi 14 septembre, jour du bétail une moitié à l'aller et l'autre moitié sur le chemin du retour. Les élèves ont ensuite travaillé à la saisie des données et se sont exercées à leur interprétation. Parallèlement, un questionnaire a été envoyé par le service-foire à tous les exposants : 744 réponses ont été retournées. C'est moi qui me suis chargée du travail d'exploitation de ces données. Cette enquête statistique n'a rien révélé qui n'ait été déjà pressenti, mais elle assortit ces observations d'indices quantifiables. Je pense aussi qu'elle constituera un jour peut-être d'ores et déjà d'ailleurs un précieux document d'archives.
11La question inévitable que soulève la foire de Beaucroissant est celle de sa survie et de sa vitalité économique actuelle : comment expliquer que cette forme de commerce obsolète qu'est la foire, d'autant plus obsolète qu'il s'agit d'une foire rurale, a pu perdurer jusqu'à aujourd'hui ? Non seulement perdurer mais ne connaître que (sauf la stagnation de la période des deux guerres ) croissance et développement ? Cette problématique fait de la foire un objet d'histoire anthropologique par excellence. D'abord parce que seule l'histoire peut expliquer qu'elle se soit maintenue. J'ai interrogé à ce sujet le démantèlement des foires voisines et concurrentes. S'étant maintenue, elle peut d'ailleurs fonctionner comme une rémanence archaïque et faire un clin d'œil à l'histoire. Dès lors, l'histoire n'est pas une donnée externe, une donnée savante, elle devient un élément constitutif de sa popularité et ce faisant, de la dynamique marchande : Beaucroissant, c'est la tradition. On y vend du terroir, du passé ; on s'y achète des racines, des souvenirs. Un peu comme sur les marchés de Provence, ou à la foire de Noël de Strasbourg ou à la braderie de Lille... La foire de Beaucroissant est un objet d'histoire anthropologique par excellence. Ensuite parce que seule l'analyse du champ social d'un champ de foire permet de comprendre c'est la circularité de l'échange dont parle Marcel Mauss comment peut se reconduire périodiquement ce rendez-vous d'intérêts divergents : une réunion agricole, pastorale, à laquelle s'ajoutent le négoce de marchandises et les attractions de circonstance et cela, sous la houlette municipale.
12Voilà quel a été l'itinéraire de ma recherche mais sur une foire, on s'égare, même en suivant un itinéraire balisé. J'ai bien conscience qu'il a découlé de l'impératif de globalité que je me suis fixé, beaucoup de va et vient entre : passé et présent ; vendeurs et acheteurs ; sociabilité villageoise, sociabilité foraine ; société paysanne, société néorurale ; rendez-vous professionnel et rendez-vous pour curieux. J'ai bien conscience aussi que le principe agrégatif de la foire, sa logique accumulative ont mis à l'épreuve le principe d'unité de ma thèse. Peut-être aurais-je dû aussi me circonscrire davantage au champ de foire et m'interdire de déborder. Mais je crois que la vitalité de la foire de Beaucroissant a été communicative. Et tant pis, ou tant mieux, si tout est encore à reprendre et à approfondir.
13Au terme de cette recherche, il me semble qu'il serait maintenant intéressant de partir en quête d'autres manifestations de ce genre : je veux dire par là des territoires qui se perpétuent ou qui se créent et qui mettent en place une « valeur ajoutée » à la logique économique ; des territoires où chacun peut « braconner » pour faire référence à Michel de Certeau... Des territoires et des pratiques qui constituent des réponses à la mondialisation.
Auteur
Bernadette Larcher
https://journals.openedition.org/ruralia/199
La vie rurale dans les années 70 à Saint Martin en Vercors
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