SOGREAH et la belle histoire de l’Hydrogéologie
HISTOIRE DE L’HYDROGEOLOGIE FRANÇAISE
Jean MARGAT, Didier PENNEQUIN et Jean-Claude ROUX.
Extrait du livre réalisé par l’Association Internationale des Hydrogéologues (AIH)
et le Comité Français d’Hydrologie (CFH) - 2013
Co-auteurs du chapitre : Paul JARDIN Bruno CANALETA Stéphane FOURNY
Ingénieurs de SOGREAH/ARTELIA.
Ce qui fait la richesse de SOGREAH et de son histoire, ce sont les multiples facettes de ses activités dont le fil conducteur reste l’Eau. L’étude des écoulements souterrains a suscité bien des vocations et la curiosité, il y a plus de 60 ans, de quelques ingénieurs visionnaires de SOGREAH qui ont contribué à établir les fondements de l’hydrogéologie.
L’hydrogéologie, comme toute science de la nature, se base sur l'observation des phénomènes et s'efforce d'en donner une explication rationnelle. Elle se fonde conjointement sur deux disciplines : la géologie, étude du milieu où se trouve l'eau, et l'hydraulique qui traite de la façon dont se déplace cette eau. Il était donc normal (ou inévitable ?) que SOGREAH, filiale à l’origine des Etablissements NEYRPIC, s'intéresse aussi à cette question.
Dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, les progrès sont nés des projets, fruits de la rencontre entre les besoins des clients et le savoir-faire de ses ingénieurs, projets qui souvent furent l'occasion de nouvelles recherches. C’est à travers l’histoire de quelques-uns de ces projets que sont présentés les développements de ses activités dans le domaine de l’hydrogéologie, en particulier les développements des outils de modélisation.
L’œuvre de Pierre DANEL
précurseur de l’Hydrogéologie à la SOGREAH
Parmi les fondateurs de l’activité Hydrogéologie au sein de la SOGREAH, il convient de citer en premier lieu Pierre DANEL.
Jeune ingénieur, Pierre DANEL est entré en 1928 au Laboratoire Dauphinois d’Hydraulique, devenu par la suite Sogreah. Après un début de carrière comme enseignant chercheur à l’université de Grenoble, il crée et anime à Sogreah une équipe de chercheurs qui atteindra bientôt une réputation mondiale dans le domaine de l’hydraulique, des modèles physiques et mathématiques, des développements des techniques hydro-agricoles innovantes. Il était chargé de professer le cours d’hydraulique générale à l’Ecole des Ingénieurs Hydrauliciens (INP de Grenoble). Il s’intéressa à la forme et aux caractéristiques des écoulements souterrains et de surface. Il traita les écoulements à potentiel suivant la méthode classique, c'est-à-dire en utilisant les fonctions analytiques, base des calculs analytiques en hydrogéologie. Au cours de la préparation de ses leçons, Mr Danel fut frappé et séduit par la représentation géométrique des fonctions analytiques pour obtenir des schémas permettant de se faire une idée rapide des formes des écoulements : Son enseignement a débouché sur la rédaction d’un traité sur les transformations conformes, base du cours d’hydrodynamique graphique repris ensuite par Gaston SAUVAGE DE SAINT MARC, ancien Directeur technique de Sogreah. Les activités hydrogéologiques se sont surtout développées sous l’impulsion de Gaston Sauvage de Saint Marc. Pour cela, ce dernier fit appel à François BAZIN qui créa véritablement et structura le service hydrogéologie de SOGREAH à partir des années 1950. Ce service réalisera les premières grandes études hydrogéologiques portant sur l’identification des ressources en eau en qualité et quantité à l’échelle d’un pays.
Pierre Danel
Pierre DANEL est le fondateur de la Houille Blanche en 1945, Association pour la Diffusion de la Documentation Hydraulique, dont il a longtemps été le Directeur Général. De nombreuses revues ont, dès l’origine (revue n° 1 en 1946), dédié des articles à l’hydrogéologie. Certains articles étaient signés d’ingénieurs du Laboratoire Dauphinois d’Hydraulique, comme par exemple R MEYER, mais la participation de Pierre DANEL à tous ces articles était forte. Souvent les thèmes étaient initiés par lui.
La contribution de SOGREAH au développement des outils de modélisation hydrogéologique
Pierre DANEL et Gaston SAUVAGE DE SAINT MARC ont largement contribué au développement des études sur modèles réduits, ou maquettes, dans le laboratoire d’essai cité ci avant. Mais, avec François BAZIN, ils ont aussi initié et fait réaliser les modèles analogiques, dont le principe est de substituer au phénomène hydraulique étudié un autre phénomène physique qui obéit à la même forme d’équation mais dont la mise en œuvre pratique est plus facile et moins onéreuse que celle du phénomène hydraulique.
Le phénomène physique de remplacement est l’électricité : en effet les champs électriques et les champs d’écoulement en milieu poreux obéissent aux mêmes équations et, sous réserve d'une correspondance des conditions aux limites, les observations faites sur un de ces phénomènes sont transposables sur l'autre. Cette technique a été mise en œuvre au cours de la période 1955 à 1965. Cependant la mise au point de tels modèles analogiques reste longue et ne permet de traiter que des cas classiques d’écoulement, souvent sur des zones de faible extension.
Des réflexions ont été conduites pour la réalisation de maquettes physiques pour l’étude des écoulements souterrains. Elles ont porté sur quelques cas particuliers et pour des secteurs de faible étendue :
- Etude des rabattements autour d’un puits, incidence de la dimension d’un puits ou de la pénétration partielle d’un puits dans une nappe, étude des phénomènes de recharge de nappe (analyse des causes du blocage de l’infiltration : dissymétrie entre un écoulement en pompage et en injection) ;
- Etude du drainage d’un sol, milieu poreux saturé et non saturé en eau ;
- Etude des phénomènes locaux d’hydro-dispersion et de rétention des polluants ;
- Etude des caractéristiques d’un béton poreux pour la conception d’un filtre statique pour des prises d’eau en rivière ou en mer.
La réalisation d’une maquette en milieux poreux pose de très délicats problèmes d’une part à cause de la capillarité qui n’obéit pas aux mêmes lois de similitudes que l’écoulement sous-jacent dans la nappe elle-même, et d’autre part à cause de l’hétérogénéité des couches aquifères qui ne peuvent pas faire l’objet d’ajustement pour réglage des perméabilité une fois que le modèle physique est réalisé.
Pierre Danel et Gaston Sauvage de Saint Marc ont contribué par la suite à l’analyse mathématique des phénomènes physiques portant sur les écoulements dans tous les milieux, et couvrant en particulier le cycle de l’eau complet dans la nature (pluie, ruissellement, crues, courant marin, houle, …) et le cycle de l’eau dans la ville (hydraulique urbaine : captage AEP, traitement de potabilisation, adduction, distribution, récupération des eaux usées, transfert vers une station de traitement et rejet dans le milieu naturel des effluents dépollués). Cette analyse des phénomènes a débouché sur la conception de modèles mathématiques inspirés des méthodes d’intégration graphiques : décomposition en différences finies pour une intégration pas à pas, pour, par exemple les épures de propagation des coup de bélier dans les conduites, les épures de propagation d’ondes dans les canaux, l’intégration graphique de la propagation d’une onde dans une nappe phréatique, etc.
Les ingénieurs qui ont fait avancer la recherche en hydraulique
Dans le cadre de ce développement, Pierre Danel a su attirer, dans son équipe de chercheurs, des spécialistes qui ont à leur tour fortement marqué le développement des activités hydrogéologiques en particulier dans le domaine du développement des modèles mathématiques :
- Alexandre PREISSMANN à qui on doit en particulier des techniques d’intégration mathématique toujours d’actualité (schéma dit « de Preissmann », fort utile pour la résolution des problèmes d’hydro dispersion des polluants en milieu poreux). On lui doit un certain nombre de notes techniques en hydrogéologie. Rappelons le livre en deux volumes édité par PITMAN sous le titre « Engineering Applications of Computational Hydraulics–Hommage to Alexandre Preissmann », écrit par 25 spécialistes mondiaux de l’hydraulique numérique,
- Francis BIESEL qui a dirigé le département informatique de Sogreah. Celui-ci a compté plus de 120 ingénieurs de développement en 1966. Dans ce département ont été conçus et réalisés les premiers logiciels de calcul des écoulements de surface, souterrains, maritimes, de mécanique des sols, etc.
- Parmi les développeurs des modèles d’écoulements dans les nappes souterraines ont doit nommer François BAZIN pour sa contribution à la numérisation des équations fondamentales (différences finies), avec l’aide d’Alexandre PREISSMANN.
- La construction même des logiciels et les premières applications sont l’œuvre de Jacques ZAOUI, Pierre FONTANET, Pierre GAILLARD , Jean Pierre SAUTY . Ce dernier, après environ 7 années de recherches appliquées et développement de logiciels dans les équipes de Sogreah a rejoint le BRGM en 1972, où il créa le centre d’informatique et apporta son savoir-faire acquis à Sogreah.
- Au début des années 1970, le département informatique de Sogreah a accueilli un stagiaire de grande qualité Yves EMSELLEM. Après 6 mois de stage, celui-ci a fondé le Laboratoire d’Hydrogéologie Mathématique de l’Ecole des Mines de Paris.
En 1972, F. BIESEL quitte Sogreah pour rejoindre le Laboratoire Central d’Hydraulique de France (LCHF).
L’une des filiales du LCHF était GEOHYDRAULIQUE qui, sous l’initiative de BIESEL a également développé des logiciels d’hydrauliques souterraines. Les principaux développeurs ayant été Marc BONNET (qui a ensuite rejoint J.P. SAUTY au BRGM), et Jean Luc HENRI.
En 1985, GEOHYDRAULIQUE et le LCHF fusionnent avec la SOGREAH, et les équipes d’Hydrogéologues se rapprochent.
A cette diffusion par Sogreah du savoir dans la conception des modèles mathématique en France, il faut ajouter la collaboration entre le Danish Hydraulic Institute (DHI, Danemark), Hydraulic Research Wallingford (HRW, Grande-Bretagne) et Sogreah (France) pour la construction du Système Hydrologique Européen (SHE), dont l’ambition était de représenter le cycle complet de l’eau. Cette collaboration débuta en 1976 et se poursuivit pendant plus de 10 ans. Aujourd’hui seul le DHI poursuit le développement d’un logiciel issu de ce concept : Le logiciel MIKE SHE.
Un dernier logiciel a été développé à Sogreah par Pierre GAILLARD à partir de 1976, puis par Michel BONNETON au cours des années 1980, et enfin au cours des années 1990, par Adel ABOUJAOUDE et Marc BOISSON sous la direction de Jean Marc USSEGLIO POLATERA, directeur de la filiale LHF de SOGREAH, et avec l’appui de spécialistes d’ENEL/CRIS (Italie, copropriétaire du logiciel). Ce logiciel, nommé DEDALE-3D, simule les mouvements de l’eau et des contaminants solubles dans les sols et dans les nappes, y compris dans les cas où la présence de ces contaminants modifient l’écoulement, par une représentation complète des 3 dimensions spatiales (selon les coordonnées horizontales X, Y et verticale Z). Ses fonctionnalités sont multiples : infiltration, lixiviation, zone saturée et non saturée, nappe. Il permet de représenter les anisotropies des formations géologiques ainsi que des formes géométriques complexes : puits verticaux en petits ou grands diamètres, puits à drains rayonnants, tranchées, voiles imperméables, palplanche, impact d’ouvrages. Les modifications des écoulements sous l’effet des changements de densités par des polluants solubles sont intégrées, ainsi que la dégradation et la transformation des contaminants. Il apparaît que ce logiciel représente l’aboutissement des objectifs de connaissance et représentation des écoulements souterrains souhaité par Pierre DANEL et François BAZIN. Des exemples d’application sont fournis dans la suite de ce document.
Page publiée le 8 Fevrier 2020-Doc Pail Jardin
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