Au pays de l’ingénierie FX Huard

Voyage vers le futur au pays de l’ingénierie

https://www.inter-mines.org/fr/revue/article/voyage-vers-le-futur-au-pays-de-l-ingenierie/1232

D’Archimède à Léonard de Vinci, des légions bâtisseuses de l’empire romain aux monastères défricheurs du Moyen-Âge, les ingénieurs peuvent se recommander d’une lignée d’individualités illustres et d’équipes laborieuses, qui à travers la résolution des problèmes les plus pragmatiques sont en fait des passeurs de rêve. L’ingénieur poursuit une quête : trouver la solution qui fera les ouvrages, les villes, les territoires plus efficaces, harmonieux et durables.

Un exemple : Salomon de Caus (1576-1626), qu’Umberto Eco affuble, dans le Pendule de Foucault, de pouvoirs occultes qui le font se déplacer à travers les siècles. Notre héros est l’auteur d’un miracle plus authentique : celui d‘avoir, comme ingénieur du roi, conçu un système permettant d’élever les eaux de la Seine pour assurer le «nettoiement des boues et immondices des rues et places publiques». Ses travaux sont effectivement repris deux cent cinquante plus tard par Eugène Belgrand, collaborateur de Haussmann. Le SIAAP, service public tout à fait moderne qui collecte et traite les eaux usées d’Île-de-France, s’appuie à son tour sur les ouvrages du XIXe, tout comme le projet du Grand Paris Express prolonge au XXIe siècle le réseau métropolitain inauguré par Fulgence Bienvenüe pour l’exposition universelle de 1900.

Novateur pour le long terme, Salomon de Caus fut aussi précurseur de l’utilisation de la vapeur comme énergie motrice, musicologue, ami des architectes, paysagiste, hydraulicien, poète, etc. Conduisant les projets les plus divers en Italie, au Royaume-Uni, en Allemagne, comme en France, il propose un CV modèle à l’élève-ingénieur multi-spécialiste, multi­lingue, multi-connecté de Paris Sciences et Lettres !

Il existe des agences de voyages qui garantissent à notre élève ingénieur des parcours professionnels aux visages multiples, associant science, techniques et conduites de projet: les sociétés d’ingénierie.

ARTELIA est l’une d’entre elles. Apparu en 2010, le nom d’ARTELIA vient couronner une histoire débutée en 1907 dans un laboratoire de modèles physiques, testant à Grenoble le comportement des turbines et des barrages.

L’ingénieur expert

Monsieur l’Ingénieur est alors un expert, qui édicte ses jugements devant les populations, selon l’image popularisée par Marcel Pagnol dans Manon des Sources.

Le Laboratoire Dauphinois d’Hydraulique devient SOGREAH, perce les secrets des aménagements hydrauliques, des rivières, des sédiments, des réseaux d’irrigation. Aucune partie du monde n’échappe aux modèles physiques et mathématiques. L’expert est volon­tiers explorateur, éprouvant sur les digues du Mékong ou les rives de l’Euphrate la validité de ses idées. En 1945, c’est auprès de ce laboratoire que l’état-major allié vient chercher les solutions pour le franchissement du Rhin.

Salomon de Caus invente la pompe à incendie

Cette mission d’expert demeure aujourd’hui. Le laboratoire existe toujours sous la bannière ARTELIA. C’est grâce aux modèles développés en son sein qu’après 30 ans d’études et dix ans de travaux le Mont-Saint-Michel redevient une île. Modélisation mathématique et modélisation physique continuent leur course poursuite. À risques nouveaux, expertises nouvelles : les ingénieurs d’ARTELIA assistent Bouygues Construction pour la réalisation du sarcophage de confinement de Tchernobyl, ou un consortium russo-turc pour la réalisation, dans le contexte post-Fukushima, des digues et prises d’eau de la future centrale d’AKKUYU, édifiée en bord de mer. À exigences nouvelles, expertises nouvelles, qu’il s’agisse des audits énergétiques de multiples tours et bâtiments au Vietnam ou de l’impact social du futur chantier de la LGV PACA.

Colmatage d’une brèche Delta du Mékong - 1940

L’ingénieur maître d’œuvre et manager de projet

Avant de sortir au grand jour, les idées se confrontent à la réalité en devenant chantier.

L’ambition et la complexité des ouvrages conduisent l’ingénieur de l’expertise vers un nouveau métier : le management de projet. Pionnier des sciences hydrauliques, ARTELIA peut aussi revendiquer d’avoir introduit le management de projet dans le secteur de la construction en France, au début des années 1960. Ce sont les tours de La Défense qui imposent, aux côtés de l’architecte, une maîtrise d’œuvre complémentaire capable de mener au bon rythme ces énormes chantiers. «Les solistes sont excellents, laissez nous jouer le chef d’orchestre» argumente Marcel Guégan, initiateur de cette approche, pour convaincre les grands donneurs d’ordre immobi­liers. D’autant que ces tours ont plu­sieurs vies. COTEBA, l’une des racines de la famille ARTELIA, a piloté la construction de la tour UAP, livrée en 1974, qui deviendra la tour First, après sa transformation, à nouveau pilotée par ARTELIA en 2011. En 2014, les projets de tours Trinity, Duo, Sisters, Hekla, Odéon Monaco, Biodiversité, etc., témoignent de la fécondité de cette intuition.

Étude du barrage du grand Inga RO Congo - 1975

 Études sur le désensablement du Mont-Saint-Michel

  L'aboutissement : la mise en eau du barrage de Katse au Lesotho Construction de la tour UAP 1974

 Tour First - 2011

Les grands projets récla­ment une maîtrise d’œuvre forte. Le Centre Hospitalier Universitaire de Nantes, (plus de 1 300 lits, 500 M€ de travaux) est une ville qu’il faut construire dans la ville. Le Port de Ras Lafan, au Qatar, embrasse entre ses digues une surface équivalente à celle de l’agglomération parisienne. La maîtrise d’œuvre doit être aussi un service de proximité : rénover la cathédrale de Cantorbéry ou reconfigurer le centre ville de Saint-Rémy-Provence nécessite de savoir accompagner les décideurs politiques, les architectes, les entreprises pour mener le projet à bon terme. Maître d’œuvre pour la tour Majunga et ses 47 étages, ARTELIA l’est aussi pour l’éco-jardin de 23 ares créé en pleine terre au pied du bâtiment.

L’ingénieur consultant multiservices

Expertise, maîtrise d’œuvre, management de projet ont été les missions de base de l’ingénierie. L’aiguillon de la crise financière de 2008, les transferts de l’investissement public vers le privé, la mondialisation qui remet en cause, lentement mais sûrement, les habitudes nationales, la révolution numérique diversifient ses modes d’intervention.

Rénovation de la cathédrale de Cantorbéry

Les industriels s’interrogent sur ce qu’ils doivent garder en interne ou externaliser, et voilà ARTELIA assumant pour le compte de grands groupes pétroliers comme SHELL ou EXXON un rôle de maître d’ouvrage délégué, pilotant les tra­vaux neufs et la rénovation de centaines de stations services tout autour du globe.

Pour répondre à des ambitions et des contraintes de plus en plus fortes, les projets doivent être pris le plus en amont pos­sible. L’ingénieur rentre chez le client et devient AMO (assis­tant au maître d’ouvrage). Le client a bien compris le parti à tirer du tempérament curieux de l’ingénieur, prêt à sortir de ses limites, comme le génie de sa lampe, pour de multiples services. La rénovation des Halles juxtapose pendant huit ans 11 projets et les interventions de 380 entreprises au-dessus des 750 000 usagers quotidiens de la station Chatelet : ARTELIA se fait planificateur, comme il l’est pour les 200 kilomètres de lignes et les 60 gares du Grand Paris Express1, qui double­ront le réseau du métro dans les 15 prochaines années. Les occupants d’un ensemble de bureau ne veulent pas sacrifier le confort à la performance énergétique : ARTELIA assure alors le suivi des deux paramètres contradictoires depuis la conception jusqu’après la livraison. La région PACA veut-elle améliorer la gestion de ses ressources en eau  Monsieur l’Ingénieur est devenu pour l’occasion consultant en straté­gie et animateur de concertation.

CHU d’Amiens

L’ingénieur, organisateur du numérique

Intégrer la conception, la fabrication et l’exploitation dans un même système informatique relève de l’évidence pour des industries intégrées comme l’aéronautique ou l’automobile. Le BIM (Building Information Modeling) est une révolution pour les multiples intervenants, aux intérêts distincts, d’un projet de construction, appelés à une coopération beaucoup plus structurée. Quand l’architecte Jean Nouvel propose au groupe canadien Ivanhoé Cambridge, futur propriétaire des tours Duo, la mise en place d’un BIM, c’est naturellement vers l’ingénieur ARTELIA qu’il se tourne pour prendre en charge le rôle de BIM manager. Le génie civil «urbanise» les systèmes d’informations. C’est également ARTELIA qui accompagne un groupement où figurent VINCI et VEOLIA pour structurer le simulateur numérique qui scénarise la planification urbaine de Santiago du Chili.

Réaménagement du quartier des Halles 2009/2017

BIM tours Duo 2015

Si chacun des intervenants regarde avec humilité la culture encyclopédique de leur ancêtre Salomon de Caus, l’ingénieur ARTELIA - les 3 500 personnes n’en formant qu’une - n’a rien à lui envier pour la multiplicité des compétences mises en œuvre et l’incroyable diversité des situations affrontées. ARTELIA a récemment poursuivi les tortues vertes au Cameroun, et livré au canal de Panama la maquette au 1/25e d’un porte container de 366 mètres pour former ses pilotes.

L’évolution du métier remonte à sa source, car l’ingénieur doit à nouveau retourner à l’atelier, ou derrière son écran, pour jouer les inventeurs. L’aspiration à l’innovation de notre économie moderne est aussi aspiration à un cadre de vie régénéré et elle concerne directement les métiers de la construction.

L’ingénieur innov’acteur

À l’École des Mines, le cours sur l’innovation débute sur l’exemple de la chaise réinventée en se posant la question - et en la résolvant - de ce que pourrait être une chaise avec zéro pied. ARTELIA a travaillé sur l’écluse à cinq réservoirs pour le canal Seine Nord-Europe.

Projet d’écluse pour le canal seine-Nord Europe

Stations service construite à partir de containers - 2013

Système de confinement de pollution dans les nappes Hydraufaraday®

Pouvons-nous repenser la structure plus que traditionnelle d’une station service à partir des containers qui circulent sur les autoroutes ? Peut-on rentrer à l’intérieur d’une maquette numérique à l’aide des lunettes et joysticks utilisés dans les jeux vidéo ? Peut-on penser un bâtiment pour qu’il procure une impression de fraîcheur sans nécessiter de climatiseur ? Ce besoin d’innovation est une chance pour l’ingénieur, celle de se révéler comme animateur de l’innovation.

La théorie C-K2 de l’École des Mines saura lui fournir le cadre méthodologique pour entraîner les diverses parties pre­nantes d’un projet dans une démarche partagée d’innovation ! Là où l’architecte associe les formes autour d’une intuition directrice et esthétique, l’ingénieur donne toute la mesure de son art en dissociant les concepts par une logique systématique et en combinant les expertises. C’est en appli­quant un concept issu de l’électromagnétique qu’ARTELIA a développé le système Hydraufaraday® permettant le confi­nement d’eaux polluées.

Si nous avons convaincu l’élève ingénieur de s’embarquer pour l’aventure, l’honnêteté pousse à l’avertir: l’apprentissage comportera peut-être plus d’OPR (opérations préalables à la réception : la revue de détail lors de la livraison d’un bâti­ment), de relecture des formulaires imposés par le code des marchés publics, ou de saisie de feuilles de pointage récla­mée par son comptable insatisfait que de séances de créati­vité.

Mais il sera dès le premier jour exposé à un vrai client, de vrais partenaires aux objectifs contradictoires, et de vrais chal­lenges. Pour s’inscrire dès cet instant dans la longue quête vers le futur des ingénieurs constructeurs.

1 Artelia est mandataire du groupement Artemis réunissant outre Artelia, Arcadis ainsi que Bonnard et Gardel.

2 La théorie C-K (pour concept-knowledge ou concept/connaissance) est une théorie de la conception innovante.

François Xavier HUARD

Directeur R&D – Innovation ARTELIA

Après diverses expériences, il rejoint en 1999 l’ingénieriste SOGREAH (eau et environnement), au moment où celle-ci est reprise par son enca­drement et sort du groupe ALCATEL.

En 2010, il pilote le processus de rap­prochement entre SOGREAH et COTEBA, spécialiste du bâtiment, qui constituent ARTELIA, avant de devenir Directeur R&D-Innovation du nouveau groupe