Une famille très business

 De Go Sport à Château Smith-Haut-Lafitte et Caudalie, les Cathiard osent tout.

Domitille Arrivet

Publié le 29/07/2010 à 11h50

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"Dans le petit monde du vin, on ne cesse de nous traiter de nouveaux riches. Cela fait vingt ans que ça dure ", s'insurge Florence Cathiard, propriétaire de Château Smith-Haut-Lafitte, l'une des plus vastes propriétés du prestigieux vignoble bordelais de Pessac-Léognan." Pourtant, je passe ma vie dans mes vignes. C'est un vrai boulot. " Pour le prouver, Florence Cathiard porte sous son pantalon des bottines un peu crottées. Pas de la bouillasse de cul-terreux, non ! De la belle terre argileuse de ce terroir de graves qui nourrit ses ceps de vignes depuis plusieurs mètres sous terre, pour donner naissance au caviar des raisins.

C'était un minimum pour cette ex-championne de ski et son mari Daniel - coéquipier en son temps de Jean-Claude Killy dans l'équipe de France de descente -, qui ont fait fortune il y a près de vingt ans en cédant l'empire familial de distribution dont Daniel a hérité. A l'époque du boom de la grande distribution, ce Grenoblois a vendu au groupe Rallye (Casino) l'enseigne régionale Genty-Cathiard léguée par son père, ainsi que les magasins Go Sport que cet inoxydable sportif avait créés." Nous étions très bien implantés dans le sud-est de la France, mais je savais qu'il fallait devenir national pour poursuivre ", se souvient-il. A 45 ans, il convainc sa soeur Sylviane et un ami actionnaire d'abandonner l'affaire au plus offrant. Les propriétaires empochent alors 2 milliards de francs d'un coup (300 millions d'euros). Abasourdi, et au terme d'une année sabbatique consacrée à la réflexion sur son avenir, le couple réinvestit une grosse part de la manne qui lui revient dans les 60 hectares de vignes de Smith-Haut-Lafitte, dont le propriétaire, le négociant britannique Brent Walker, voulait se débarrasser. En 1991, sur un coup de coeur, les Cathiard alignent 250 millions de francs (38 millions d'euros) pour s'offrir ce grand cru classé. Il n'en fallait pas plus pour que l'establishment bordelais et ses nombreuses familles, déchirées autour de lopins de terre difficiles à répartir, regarde d'un mauvais oeil ces montagnards descendus de leurs entrepôts d'épicerie, le compte en banque insolemment garni." Et maintenant, c'est le succès de nos filles qui agace. On dit : encore eux ! " confie Florence Cathiard. Ce que la famille Cathiard a réussi à bâtir en quinze ans, pas un seul Bordelais ne s'y serait risqué. Et c'est cela qui énerve. Après avoir remis au goût du jour le Château Smith-Haut-Lafitte en imposant le blanc et le rouge auprès de gourous comme Robert Parker, Daniel Cathiard ne s'est pas reposé sur ses lauriers. Car cet héritier gâté par la vie est aussi entrepreneur dans l'âme. Avec un calme tout savoyard, qui tempère l'exubérance de son épouse, il a, en 1995, poussé son aînée Mathilde à développer une ligne de cosmétiques vendue en pharmacie qui porte le nom de Caudalie, un terme qui qualifie l'unité de mesure de la longueur en bouche d'un vin !

Quinze ans plus tard, voici le petit miracle que Mathilde raconte toujours devant un parterre de journalistes beauté émerveillées : " C'est en faisant visiter le vignoble de Smith que j'ai fait la connaissance du professeur Vercauteren, chercheur à l'université de Bordeaux. Il m'a expliqué que ce pépin de raisin que nous éliminions en faisant le vin avait de très intéressantes propriétés antioxydantes. " Et voilà l'affaire lancée par Mathilde, jeune diplomée de Sup de co Nice et son mari Bertrand Thomas, rencontré sur les bancs de prépa avant son admission à l'Essec. Recherche fondamentale avec le professeur Vercauteren pour fondre les molécules magiques du pépin dans des crèmes de beauté, dépôt de brevets, puis industrialisation et vente au porte-à-porte." Lorsqu'ils ont commencé à essayer de les vendre près d'ici, à Bordeaux, ils se faisaient jeter de partout. J'en avais le coeur serré ", se souvient Florence Cathiard, encore très impliquée dans le business de ses filles. Aujourd'hui, la mère poule est rassurée : avec près de 80 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2009, Mathilde et Bertrand sont tirés d'affaire. Le couple vient de s'offrir un siège social flambant neuf dans un hôtel particulier de l'avenue de Messine, à Paris, et prévoit de s'expatrier quelques années aux Etats-Unis pour y " réussir comme Leonard Lauder ", confie Daniel Cathiard.

Tremplin. Une fois Mathilde et Bertrand lancés, les parents Cathiard ont investi dans la création d'un spa de grand luxe au coeur du domaine de Smith qui sert de prétexte à l'implantation insolite d'un institut de soins dans un paysage de vignobles. C'est le point de départ du développement de Caudalie dans les soins en institut. Une activité bien moins rentable que les crèmes de beauté, mais qui offre à la marque un tremplin pour communiquer. Une activité aujourd'hui déclinée en franchise à New York et en Espagne. Quant aux pharmaciens les plus méritants - comprenez ceux qui ont vendu le plus de crèmes Caudalie -, ils peuvent se voir offrir, à titre de remerciement, une petite immersion dans cet univers douillet.

Autour du spa se déploient aujourd'hui un petit complexe hôtelier de 49 chambres ainsi qu'un restaurant gastronomique qui met tout en oeuvre pour regagner son étoile Michelin, perdue en 2004. Cet hôtel de luxe comme il n'en existait pas à des kilomètres à la ronde, Daniel et Florence l'ont depuis confié à leur cadette Alice et à son mari, Jérôme Tourbier. Mais pas question de leur donner du tout cuit. Il doivent, eux aussi, trimer pour construire leur petite affaire." On ne fait pas ça à la Kennedy. Mes gendres ont fait un mariage tremplin. Ils doivent maintenant se surpasser ", estime Florence Cathiard. Papa a investi. Alice et Jérôme doivent rembourser. Pas simple : la reprise en catastrophe de la gestion de l'hôtel à la suite du départ précipité de l'ancien directeur, l'installation dans une chambre en travaux au-dessus des bureaux, et puis, l'an dernier, la reprise, en pleine crise, d'un gros établissement hôtelier de 43 chambres à Ville-d'Avray, près de Paris, dont papa Cathiard a gentiment repris les dettes et garanti l'emprunt. Leur quotidien est celui des professionnels du secteur : levés tôt, couchés tard. Les investissements sont lourds." La rentabilité de notre activité est bien plus faible que dans les produits de beauté ", constate Alice. Mais elle devait aussi avoir son pré carré : " Mes parents, j'ai commencé à les intéresser lorsque je suis entrée dans la vie active ", souffle-t-elle.

Dans son château, une ferme du XVIIe au milieu de vignobles entretenus au cordeau, Daniel Cathiard est un homme heureux. Son vin est apprécié, son patrimoine fructifie, ses filles réussissent et son activité lui laisse le loisir de skier au moins trente jours par an à Val-d'Isère.

Et puis, dernièrement, quelque chose lui a fait vraiment plaisir : la direction générale de Go Sport - aujourd'hui propriété de Jean-Charles Naouri, empêtré dans les dettes - s'est déplacée en terre girondine pour lui rendre visite. Comme un cep qui doit plonger profond dans la terre pour survivre, l'état-major venait recueillir l'analyse de l'ancien boss sur l'avenir de l'enseigne. Daniel ne leur a peut-être pas dit que cette propriété qu'il a acquise avec leurs deniers a doublé de valeur en vingt ans

Genty-Cathiard

La société Genty-Cathiard est un groupe de distribution français fondé en 1924 à Grenoble. Le groupe Genty-Cathiard est racheté par la société Rallye en 1990.

Histoire

• En 1924, le premier magasin Genty ouvre à Grenoble.
• En 1983, l'entreprise grenobloise Genty-Cathiard, qui possède les supérettes Genty et la Société Alpine de Sport, avec les enseignes Team 5, se porte acquéreur de Go Sport (fondé en 1976)¹, qui possède alors 11 points de vente². La même année l'entreprise est transférée du marché « hors-cote spécial » vers le Second Marché de la Bourse de Paris³.
• En 1988, Genty-Cathiard acquiert le groupe Courir détail de chaussures de sport.
• En 1990, Rallye acquiert en février 60 % de Genty-Cathiard pour 1,65 milliard de francs. Le groupe récupère les hypers et supermarchés Genty ainsi que la chaîne d'articles de sports Go Sport⁴.
• En 1992, Casino reprend les activités de Rallye (supermarchés, hypermarchés et cafétérias Marest)⁵.

Après la vente de leur groupe, Daniel et Florence Cathiard investissent dans un vignoble, le Château Smith Haut Lafitte, qu'ils modernisent en y construisant un hôtel de luxe, un restaurant étoilé, et un institut dit de vinothérapie qui crée et distribue des produits de beauté à base d'huile de pépins de raisin : les produits Caudalie, en vente dans les pharmacies^6,7.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Genty-Cathiard